Les 3 et 4 décembre, notre membre RIPESS LAC a organisé le séminaire international « Confluences pour développer des politiques publiques favorables à l’économie sociale et solidaire (ESS) et aux systèmes de protection sociale en Amérique latine et dans les Caraïbes ». Cet événement a permis de présenter l’étude « Étude sur les cadres réglementaires de l’ESS et leurs relations avec les politiques de protection sociale en Amérique latine » que nous résumons dans cet article.

Rédigé par Alfonso Cotera, Secrétaire Technique du RIPESS LAC et coordinateur de l’étude

Organisé par le Réseau pour la Promotion de l’Économie Sociale Solidaire, Région Amérique Latine et Caraïbes (RIPESS- LAC), l’objectif du séminaire international était de contribuer à la réflexion et à la génération de propositions de politiques publiques favorables aux systèmes de protection sociale et à l’économie solidaire, avec la participation des entités et organismes publics d’ESS, pour garantir que ceux-ci sont réellement au service du bien-être collectif des travailleurs.

L’étude des cadres réglementaires de l’Économie Sociale Solidaire (ESS) en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC), présentée lors du séminaire international, s’inscrit dans un contexte d’incertitude quant à la viabilité des avancées des politiques publiques de reconnaissance et de promotion de l’ESS réalisées principalement depuis le début du nouveau millénaire dans plusieurs pays de la région. Ceci est dû aux changements politiques actuels dans une perspective conservatrice et dans une orthodoxie néolibérale accrue dans plusieurs de ces pays.

Cependant, parallèlement, un processus complexe et contradictoire d’assimilation et de résistance sociale se déroule, qui se traduit par une diversité d’actions menées par des hommes et des femmes qui survivent en générant leurs propres emplois et revenus économiques, qui protestent et luttent contre les pouvoirs économiques et politiques responsables de la crise généralisée, et qui développent également des initiatives alternatives dans les domaines sociaux, économiques et culturels. Parmi ce vaste mouvement social, on retrouve les acteurs de l’ESS, dans ses diverses manifestations, qui mettent en œuvre des pratiques économiques et sociales de coopération et d’entraide, qui privilégient l’intérêt collectif sur le profit personnel, qui intègrent la justice et la solidarité dans les transactions commerciales et financières, et qui respectent et préservent la nature.

L’étude explore l’état de la question dans la gestation et l’exécution des normes en faveur du développement de l’ESS, dans 5 pays d’Amérique latine (Bolivie, Équateur, Pérou, Brésil et République dominicaine), l’implication que le mouvement social et les organisations ESS ont eu dans ce processus et l’impact que ces normes et politiques ont eu sur l’amélioration des conditions de vie des personnes impliquées et dans le renforcement des institutions qui en découlent.

Dans la première partie, le document présente quelques concepts de base sur l’ESS et la protection sociale, reconnaissant que des expériences économiques solidaires existent depuis des temps ancestraux et que les approches ou propositions théoriques sont relativement récentes, comprenant que l’ESS est un secteur et/ou système sociopolitique qui mise sur le développement des personnes et des collectifs sociaux, en harmonie avec la nature. Dans la deuxième partie, les cinq cas (pays) sont développés dans lesquels les progrès et les limites dans la mise en œuvre des réglementations, explicites ou implicites, favorables au développement de l’ESS ont été évalués. Dans la troisième partie, l’étude présente quelques réflexions générales, que je synthétise ci-dessous :

1) Le contexte politique latino-américain de gouvernements  » progressistes  » (il y a deux décennies) a favorisé la possibilité d’une reconnaissance normative de l’ESS. Au Brésil, la proposition et les acteurs de l’ESS ont acquis une reconnaissance sociale et politique, progressant dans leur institutionnalisation : création du Secrétariat National de l’Économie Solidaire (SENAES) au sein du Ministère du Travail ; actuellement les deux ont été annulés. En Équateur, la Constitution reconnaît que « le système économique est social et solidaire » et la loi sur l’économie populaire et solidaire a permis de mettre en œuvre divers programmes et projets : finances populaires, entreprises inclusives et institutions (IEPS, SEPS, CNFPS, etc.). En Bolivie, la Nouvelle Constitution politique de l’État (2006) et le Plan national de développement « Para el Vivir Bien » (Pour bien vivre) proposent le nouveau « modèle d’économie plurielle » qui reconnaît l’économie sociale et communautaire coopérative comme acteurs de l’économie nationale.

2) La force et la capacité d’articulation des organisations d’ESS à avoir une influence politique a été l’élément catalyseur pour l’approbation et l’exécution des politiques qui les favorisent. Au Brésil, le mouvement et les expériences économiques populaires ont donné naissance au Forum brésilien de l’économie solidaire (FBES). En Équateur, des organisations autochtones et agroécologiques, le commerce équitable et diverses expériences économiques populaires ont donné naissance au Mouvement d’économie sociale et solidaire de l’Équateur (MESSE). En Bolivie, les organisations économiques populaires, les coopératives, le commerce équitable et les communautés autochtones ont donné naissance au Mouvement bolivien d’économie solidaire et de commerce équitable (MESyCJB) et à la Plate-forme nationale pour l’ESS.

3) La reconnaissance normative obtenue par l’ESS ne s’est pas nécessairement accompagnée de budgets et de politiques concrètes pour les rendre efficaces. Ce manque de cohérence entre le discours, la normativité et l’exécution des politiques publiques, exprime les intérêts et la capacité du pouvoir en conflit pendant le processus. Dans certains cas, il y a eu recours à la réglementation pour entraver ou limiter les lois obtenues (dans certains cas, il y a eu une réglementation excessive et, dans d’autres cas, l’absence de réglementation des lois et normes obtenues).

4) Les relations entre les gouvernements locaux (municipalités, maires, états et régions) et les expériences d’ESS ont été plus directes et plus fructueuses, même en l’absence de réglementations et de politiques publiques, rendant possibles des programmes de formation et un soutien à la commercialisation des expériences d’ESS.

5) Grâce à la réglementation et aux politiques publiques en faveur des acteurs économiques et sociaux locaux, il y a eu une croissance quantitative des organisations économiques populaires et une diminution importante de la pauvreté, ainsi qu’une croissance de la classe moyenne. Cependant, malgré le discours transformateur (bien vivre, économie plurielle, économie populaire et solidarité), le modèle d’accumulation primaire des exportations et de promotion de l’investissement privé étranger par rapport à l’investissement local est resté dans son essence.

Nous pouvons conclure par une réflexion. Le processus de reconnaissance effective du rôle transformateur de l’ESS dans la démocratisation des relations économiques est encore lent et va de pair avec le développement des capacités et du pouvoir des acteurs de l’ESS dans leur lien avec le mouvement social. Le défi est de se doter d’une perspective de pouvoir et d’inscrire dans ce processus les propositions de réglementations et de politiques à co-créer et cogérer entre les acteurs sociaux, économiques et politiques.

Note : l' »Étude sur les cadres réglementaires de l’ESS et ses relations avec les politiques de protection sociale en Amérique latine » sera publiée à la fin décembre. A partir de ce moment, la version électronique de l’œuvre sera diffusée à la fois sur ce site et sur nos réseaux sociaux.