Le Mali commence un processus de co-construction de politique publique entre le Gouvernement et les différents acteurs de l’ESS pour créer un loi sur l’organisation de l’ESS. Madani Coumare, du RENAPESS et membre du RAESS, nous explique comment se déroule cette expérience.

Écrit par Madani Coumare, du RENAPESS et membre du Réseau Africain de l’ESS (RAESS – RIPESS Afrique).

Du bien fondé

Les politiques publiques sont des mesures de soutien apportées à des domaines menacées ou qui ont besoin d’être davantage développés afin d’apporter des réponses structurelles durables aux difficultés.

C’est ainsi que, sous l’impulsion du réseau national d’appui à la promotion de l’économie sociale solidaire au Mali et avec l’accompagnement du centre d’étude et de coopération internationale du Canada, le Gouvernement du Mali a adopté, le 06 Octobre 2014, une politique nationale de promotion de l’économie sociale solidaire et son premier plan d’action quinquennal.

Malgré l’importance de la place et du rôle des organisations de l’économie sociale et solidaire dans l’économie malienne, les problèmes à résoudre en leur sein ou au niveau de leur environnement, qu’il s’agisse d’aspects généraux ou spécifiques, sont nombreux.

D’une manière générale les problèmes sont les suivants :

  • l’inadaptation des dispositions législatives et règlementaires ;
  • l’insuffisance qualitative et quantitative du personnel d’appui technique ;
  • l’insuffisance de ressources matérielles et financières pour assurer les missions assignées aux différents acteurs ;
  • la faiblesse des synergies entre les différentes organisations ;
  • l’absence de mécanisme de financement approprié pour soutenir les entreprises de l’Économie Sociale Solidaire ;
  • la faible capacité de gestion des organisations ;
  • la faible connaissance du champ de l’Économie Sociale Solidaire ;
  • l’insuffisance de l’accompagnement technique (formation, suivi et appui-conseil) aux organisations de l’économie sociale solidaire.

La Politique nationale de promotion de l’économie sociale solidaire (ESS) a retenu quatre (04) orientations stratégiques autour desquelles les actions pertinentes de son premier plan d’action national ont été bâties. Le premier axe stratégique porte sur le « Renforcement institutionnel, législatif et réglementaire » du secteur de l’ESS

Il s’agit de doter les acteurs d’un instrument légal (une loi nationale) pour leur permettre d’exercer au mieux leurs activités en harmonie avec les différents cadres légaux qui régissent les activités économiques dans le pays.

Cela a nécessité de construire un dialogue politique et de mener un fort plaidoyer.

De la relation avec le gouvernement

Le RENAPESS a obtenu du Gouvernement que le dialogue soit structuré à travers un comité représentatif de toutes les sensibilités légalement institués. Il s’agissait de donner à toutes les parties la possibilité de contribuer à l’élaboration du contenu du cadre légal (la loi) qui va les régir soit pensées avec elles.

Un cadre formel d’élaboration de la loi a été créé à travers une décision du département de tutelle institutionnelle.

Du processus de co-construction

Un dialogue politique s’est enclenché entre les pouvoirs publics et l’organisation de l’ESS au Mali à l’entame du processus d’élaboration de la politique nationale de promotion de l’ESS depuis 2009 sous le leadership conjoint de la Direction Nationale de la Protection Sociale et de l’Economie Solidaire (DNPSES), agissant au nom du Ministère en charge de l’économie sociale et solidaire et du Réseau National pour la Promotion de l’Économie Sociale et Solidaire (RENAPESS).

Le dialogue a concerné les acteurs suivants:

  • au niveau politique (le ministère en charge de l’ESS, l’assemblée nationale)
  • au niveau administratif (les départements ministériels en charge développement social, de l’économie et des finances, de l’emploi, de l’agriculture, de la promotion de la femme, les collectivités locales)
  • au niveau de la société civile (RENAPESS, réseaux d’organisations d’appui à la base, de plaidoyer) ;
  • au niveau des partenaires techniques et financiers (coopérations internationales ayant l’économie sociale et solidaire dans leurs agendas)

 

Le processus du dialogue autour de l’élaboration de la politique s’est construit autour des grandes étapes suivantes :

  • Négociations du format de participation, des champs à couvrir et des acteurs à cibler avec les départements ministériels directement concernés et les partenaires techniques et financiers ;
  • Identification des autres acteurs institutionnels et associatifs du dialogue, en vue de prendre en compte toutes les préoccupations et légitimer davantage la base du dialogue et du plaidoyer,
  • Évaluation des organisations identifiées (statut légal, situation structurelle, organisationnelle et institutionnelle) en vue de constituer le noyau dur du plaidoyer et s’assurer des moyens autonomes disponibles nécessaires au maintien d’une participation régulière, de qualité et non liée ;
  • Large information des acteurs identifiés sur le contexte ainsi que les rôles et responsabilités qui sont les leurs dans le processus;
  • Atelier interne d’élaboration d’une vision stratégique partagée et des termes de références des positions à défendre et de collecte de la littérature de référence.
  • Participation aux ateliers d’élaboration et de validation de l’avant –projet du projet de loi, durant tout le mois de février 2019 sous le leadership du ministère de la solidarité et de l’action humanitaire.

Des espaces d’échanges ont été organisés tout au long du processus avec trois (3) groupes de travail, comprenant les représentants mandatés et préparés par les organisations l’ESS.

Du contenu de la loi :

Pour mieux articuler les solutions que la loi propose et faciliter leur compréhension par l’ensemble des citoyens et des acteurs à différents niveaux, la loi a adopté  les définitions du concept de l’ESS ainsi des catégories et caractéristiques des acteurs et organisations de l’ESS au Mali proposées dans le document de politique nationale de promotion de l’ESS.

Au sens de la politique nationale de promotion de l’Économie Sociale et Solidaire du Mali, elle est l’ensemble des activités de production et de distribution de biens et de services, menées par les sociétés coopératives, les mutuelles, les associations et autres organisations de type particulier basées sur la solidarité, le partage et le fonctionnement démocratique en plaçant les personnes au centre du processus de création et de jouissance de la richesse.

A la lumière de ces définitions et au regard des enjeux et défis du développement de l’ESS au Mali, le projet de loi aborde les aspects suivants jugés indispensables pour un cadre propice au développement de l’ESS au Mali.

  • Typologie des organisations et des acteurs de l’ESS.
  • Caractéristiques et procédures d’immatriculation organisations de l’ESS.
  • L’administration des organisations de l’ESS.
  • Conditions et moyens de développement des organisations de l’ESS.
  • Fonctions des organisations de l’ESS.
  • Rôles de l’État et des collectivités territoriales dans la promotion de l’ESS.
  • Réseautage et unions des organisations de l’ESS.
  • Mesures incitatives à la promotion de l’ESS.
  • Régime fiscal et comptable applicables aux organisations de l’ESS.
  • Promotion du commerce équitable et des valeurs universelles de développement de l’ESS.
  • Financement des organisations de l’ESS.
  • Protection sociale des membres des organisations de l’ESS.
  • Migration du secteur informel vers l’ESS.
  • Évaluation des organisations de l’ESS.
  • Règles applicables aux modifications juridiques des organisations de l’ESS.
  • Dispositions diverses, transitoires et finales.

Des bénéfices de la loi

  • Les rôles et responsabilités de l’État et des acteurs des organisations de l’ESS, y compris ceux partageables, sont bien définis.
  • Le développement de l’ESS est renforcé selon des orientations claires et précises répondant aux réalités socioéconomiques et culturelles;
  • Les entreprises sociales se développent mieux avec des avantages fiscaux, douaniers et fonciers.
  • Les transitions du secteur informel vers l’ESS est mieux encadré.
  • La contribution de l’ESS à la création de richesse nationale et d’emploi ainsi que son rôle de stabilité sociopolitique sont davantage valorisés et renforcés.

Des leçons apprises

Nous retiendrons que malgré la puissance d’un syndicat ad ’hoc de fonctionnaires qui étaient réfractaires à toute proposition d’avantages et facilités visant un meilleur développement des activités l’ESS et une protection sociale garantie pour ses acteurs, avec comme argument que ces dispositions biaisent la concurrence sur le marché, il fallut brandir l’atout de notre légitimité qui est incontournable pour l’adoption de la loi au niveau du parlement.

Entendu que les lois sont des productions sociales qui ont vocation à résoudre les préoccupations des citoyens en un moment donné. A cet effet, le processus d’adoption au niveau du parlement a prévu d’écouter les citoyens titulaires de droits pour s’assurer du bien-fondé, c’est-à-dire si réellement lesdites préoccupations sont prises en compte par le projet à examiner.

La démarche a été certes jalonnée d’écueils entre les hauts fonctionnaires du département surtout en charge de la fiscalité, mais elle a finalement été sanctionnée par l’adoption de l’ensemble des propositions qui prennent en compte toutes les préoccupations des organisations l’ESS dans l’avant-projet de loi.