
Elise Pierrette Memong Meno à l’Assemblée des Femmes du Forum Nyéléni.
Chères sœurs, femmes du monde entier en résistance, collègues, camarades et allié·es,
La souveraineté alimentaire est une vision enracinée dans le pouvoir des peuples à définir, façonner et gouverner leurs propres systèmes alimentaires. Aujourd’hui, alors que les systèmes alimentaires industriels sont dominés par les entreprises transnationales, nos communautés — et en particulier les femmes rurales — font face à des menaces croissantes contre leur autonomie, leurs terres, et même leur moyen fondamental de subsistance.
À travers la perspective du féminisme et de l’économie sociale et solidaire — en m’appuyant sur la vision portée par RIPESS — je nous invite à revendiquer l’alimentation comme un bien commun et à considérer la transformation de nos systèmes alimentaires comme inséparable de la lutte pour la justice de genre et la survie écologique.
Les entreprises agrobusiness et extractivistes internationales fonctionnent selon une logique d’accumulation qui place le profit avant les personnes, l’uniformité avant la diversité, et la domination avant la collaboration. Ce système permet à une poignée d’acteurs transnationaux de contrôler les semences, la terre et les marchés — créant dépendance, accaparement des terres, et érosion des droits fondamentaux des paysannes, des femmes rurales et des communautés.
Parallèlement, les structures patriarcales et capitalistes œuvrent ensemble pour exclure les femmes — en particulier les paysannes, les femmes autochtones et populaires — des processus de décision, de l’héritage foncier et de la transmission de leurs savoirs productifs.
Pourtant, les femmes sont l’épine dorsale des systèmes alimentaires. Elles entretiennent les connaissances agroécologiques, préservent la biodiversité et assurent la sécurité alimentaire des familles et communautés. Mais leurs droits à la terre, aux ressources et à la participation politique sont systématiquement bafoués.
La lutte féministe au sein de la souveraineté alimentaire ne remet pas seulement en cause les rôles de genre, mais aussi les systèmes de propriété et de contrôle soutenus par les entreprises et l’État. Les collectifs de femmes de notre mouvement revendiquent :
- Le droit à la terre et aux ressources productives, face aux lois patriarcales d’héritage et à l’accaparement des terres par les entreprises ;
- Le droit à la santé et à la protection sociale, reconnaissant la contribution des femmes tout au long de leur vie, y compris à la retraite ;
- Une voix dans les instances de gestion des ressources naturelles, pour orienter des politiques alimentaires locales, nationales et régionales justes, démocratiques et durables.
L’économie sociale et solidaire, soutenue par RIPESS, propose une alternative fondée sur la coopération, la propriété collective et la gouvernance démocratique. Contrairement aux modèles qui continuent d’alimenter la marchandisation de l’alimentation par les entreprises, l’ESS réunit producteurs et consommateurs comme copropriétaires et codécideurs des systèmes alimentaires.
Regardons quelques éléments de transformation :
- La mutualisation des moyens de production et de commercialisation : les femmes et les communautés organisent des centres de production coopératifs qui permettent de passer d’outils rudimentaires à des moyens modernes et partagés, renforçant leur autonomie technique et réduisant leur dépendance extérieure ;
- La création de chaînes de valeur alternatives : de la culture à la commercialisation, les mécanismes solidaires basés sur l’ESS éliminent les intermédiaires spéculatifs, garantissant des prix justes et des conditions de vie dignes aux producteur·trices ;
- La finance communautaire : à travers des dispositifs financiers solidaires, des monnaies locales et des investissements éthiques, les communautés reprennent le contrôle économique, en réinvestissant là où les besoins sont les plus pressants.
L’ESS féministe et transformatrice ne s’arrête pas aux structures économiques. Elle rend opérationnelle une vision politique et citoyenne de la souveraineté alimentaire en :
- Construisant le pouvoir collectif pour le plaidoyer : les alliances de femmes dans l’ESS exigent des politiques qui reconnaissent leurs droits et leurs savoirs, en garantissant une participation équilibrée à toutes les étapes de la production, de la distribution et de la gouvernance ;
- Assurant la durabilité sociale et écologique : les pratiques agroécologiques, les banques communautaires de semences et la préservation de la biodiversité deviennent des leviers d’autonomie et de résistance, portés par celles qui sont les gardiennes de savoirs traditionnels et innovants ;
- Affirmant l’alimentation comme bien commun, et non marchandise : en revendiquant l’alimentation comme un droit et en rejetant les modèles exploiteurs fondés sur le profit, l’ESS féministe met au premier plan l’éthique du soin, l’interdépendance et la réciprocité.
Le pouvoir des entreprises transnationales repose sur la fragmentation et la destruction de la solidarité entre communautés. L’approche ESS, ancrée dans le féminisme, fait tout le contraire :
- Elle construit des réseaux de solidarité, locaux et mondiaux, qui soutiennent des circuits alimentaires alternatifs, remettent en cause la domination de l’agro-industrie, et mettent au centre les droits des femmes, des petits producteurs, des peuples autochtones et des personnes des économies populaires ;
- Elle milite pour des politiques alimentaires publiques faites par et pour les plus impacté·es : les femmes qui travaillent la terre, nourrissent nos sociétés et savent à quoi ressemblent des systèmes agroalimentaires justes et durables ;
- C’est une lutte intersectionnelle : contre le patriarcat, l’extractivisme et la marchandisation. Ces luttes ne sont pas isolées : elles s’intègrent au mouvement émancipateur du commun, pour une justice économique, de genre et climatique.
Chères sœurs, la tâche est immense mais porteuse d’un immense espoir. Partout, des femmes et des communautés inventent de nouveaux systèmes alimentaires, fondés sur le contrôle démocratique, la solidarité et le soin porté à la nature et aux personnes. Elles nous nourrissent, oui ; mais elles défendent aussi la dignité, la diversité, et la vie !
Engageons-nous à marcher à leurs côtés : renforcer les collectifs, amplifier leurs revendications pour la terre, l’autonomie et la reconnaissance, et affirmer que la souveraineté alimentaire est à la fois une lutte féministe et une lutte contre le pouvoir des entreprises.
L’alimentation, c’est la vie. L’alimentation est féministe. L’alimentation n’est pas une marchandise. Et grâce à une économie sociale et solidaire transformatrice, un autre monde non seulement est possible, mais il germe déjà, partout.
Merci.
Elise Pierrette Memong Meno — Secrétaire Générale du RAESS, représentante du RAESS au Conseil d’Administration de RIPESS et Présidente du RESSCAM au Cameroun.