Praticienne en économie sociale et solidaire avec perspective de genre, membre du Réseau canadien de développement économique communautaire, administratrice au premier conseil d’administration du RIPESS, référente en ESS PG à Quartier du Monde, professeure à l’École d’innovation sociale.

 

Pourquoi t’es-tu engagée dans l’ESS?

À l’âge de 13 ans, j’ai adhéré à notre caisse populaire et j’ai toujours été membre depuis.

Très jeune, j’ai eu des enfants et j’ai connu la pauvreté. C’est par la solidarité que je m’en suis sortie.  J’ai d’abord découvert le mouvement associatif, les organisations d’entraide de femmes et la coopération. J’ai vécu dans une coopérative d’habitation et une coopérative alimentaire de quartier.  Par la suite j’ai travaillé dans le mouvement associatif dans plusieurs secteurs d’activités.  De fil en aiguille je me suis retrouvée directrice du Conseil de la coopération de l’Ontario, organisme dormant à l’époque mais que nous avons relancé.  C’est là que j’ai vraiment pris conscience de l’ensemble du mouvement coopératif et du développement économique communautaire, mais de l’invisibilité des femmeset des inégalités dans un mouvement qui prétend à l’inclusion et l’égalité, …. Comme plusieurs, j’ai choisi de faire partie de la solution et de m’investir dans les réseaux pour changer les choses. Il y a déjà 25 ans, nous avions créé des services et des programmes adaptés au genre. Je suis devenue membre du RCDEC, depuis ses débuts, et j’ai été très active sur des comités et sur le CA pendant quelques années. J’ai toujours été impliquée dans des initiatives d’ÉSS du local au global. C’est sans doute pour cela que je me suis retrouvée à représenter le Canada  au sein du premier CA du RIPESS.

 

Pourrais-tu nous parler de l’engagement des femmes dans l’ESS dans ton pays?

Au Canada, comme dans tous les pays du monde, les femmes engagées en économie sociale et solidaire sont très actives. Elles créent et gèrent des entreprises collectives dans plusieurs secteurs d’activités, tant en milieu rural qu’urbain. Elles continuent de militer pour l’égalité entre les genres et l’autonomisation des femmes dans leurs entreprises collectives, dans la société et aussi que dans les mouvements coopératif, d’économie sociale et de développement économique communautaire.

Nous constatons que depuis quelques années, plusieurs intermédiaires se questionnent sur leurs services d’accompagnement, de formation et de financement afin de les adapter pour mieux soutenir les initiatives en Économie sociale et solidaire portées par des femmes.

Nous avons multiplié les espaces de débats, de sensibilisation et d’apprentissage dans le cadre de grandes conférences : congrès du RCDEC, FIESS, GSEF, et même depuis 2005, lors des grandes conférences de la globalisation de la solidarité organisées par le RIPESS, pour dénoncer, réfléchir, proposer et agir.

 

Quels sont les plus grands défis que tu détectes qui ralentissent le chemin vers l’égalité effective entre les femmes et les hommes?

Fort de constater qu’en dépit du rôle majeur joué par les femmes dans les mouvements et les pratiques entrepreneuriales, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est toujours pas acquise, notamment en matière d’équité salariale, de diversité des choix de carrières ou d’accès aux ressources économiques et politiques. Nous sommes plus visibles tout en restant invisibles. Les réalités auxquelles nous sommes confrontées sont souvent omises ou traitées en marge des temps d’échanges initiés par nos réseaux qu’ils soient sectoriels, provinciaux, nationaux et internationaux de l’économie sociale et solidaire.

Mais depuis quelques temps, je constate l’ouverture et l’écoute plus présentes que jamais et l’engagement de plusieurs, des femmes et des hommes, qui se soucient de ces enjeux de fonds et qui agissent pour mettre en place des pratiques solidaires et des stratégies structurantes favorisant l’égalité entre les genres et l’autonomisation économique des filles et des femmes d’ici et d’ailleurs.

Dans mon coin du monde, en Ontario français, malgré l’absence de ressources, nous nous nous organisons. Nous travaillons sur tous les fronts et nous sommes condamnés à la solidarité si nous voulons changer la donne. Nous augmentons les espaces de formation en ESS avec perspective de genre et le nombre de participantes continuent de croitre à chaque rencontre.  Nous collaborerons avec nos sœurs anglophones, au sein de WOSEN, pour bénéficier de ressources additionnelles, ce qui nous a permis entre autres, en collaboration avec une dizaine d’organisations francophones, d’offrir un nouveau programme de formation en ÉSS en français avec perspective de genre.

Assurément le cheminement que j’ai eu le privilège de vivre au sein de Quartier du Monde et du réseau Femmes du Monde, en tant que référente en ÉSS avec perspective de genre, m’a permis de renforcer mes propres compétences et de proposer ces ressources, soigneusement co-construites par une soixantaine de femmes de plusieurs pays, dans nos collectives franco-ontariennes.

 

Quels avantages vois-tu dans l’appartenance des organisations locales aux réseaux globaux?

Nous voulons toutes et tous changer le système, changer la donne, proposer une économie à visage humain, créer des emplois décents, favoriser l’autonomie des femmes et de toutes les personnes marginalisées par les systèmes… et bien j’ai appris par mes petites et grandes expériences de solidarité, qu’ensemble on va plus loin et on est plus fort.  J’y crois et j’y ai toujours cru dans cette mise en réseau et dans l’importance tisser des liens entre toutes les pratiques, les concepts et cette économie qui est une réelle alternative à l’économie dominante.

De plus, je vis dans une communauté minoritaire, et ceci dit, vivre en français c’est une lutte à tous les jours.  Nous avons gagné nos écoles, sauver notre hôpital, obtenu notre université et nos collègues car nous avons marché ensemble, car nous avons amené l’État en cour, car nous avons solidarisé nos actions. En affaires, j’ai toujours cru que là aussi nous pouvions être solidaires pour créer de la richesse collective, plus d’emplois décents, pour revitaliser nos villages, etc.
Comment perçois-tu l’impact du Covid sur les femmes? (bien entendu depuis l’optique ESS)

Déjà dans un contexte de mondialisation, et de plusieurs crises économiques et sociales les femmes étaient  particulièrement touchées.  En temps de pandémie, cette grande crise humaine,  c’est encore plus  difficile pour les femmes de tous les âges.

Nous les savons, les femmes sont majoritaires au sein des associations, des coopératives et des entreprises d’économie sociale.  Elles y travaillent fort et plusieurs de ces structures ont dû fermer leurs portes  ayant une incidence direct sur le revenu la qualité de vie des femmes et des familles.  Les services de base ont été arrêtés. Il y a eu une montée de la violence familiale sur tous les continents et chez nous aussi.

Déjà plusieurs femmes avaient le double ou le triple emplois.  Encore aujourd’hui, il n’y a toujours pas de reconnaissance du travail reproductif dans la société et ni dans notre mouvement de l’ESS.  En temps de pandémie, les femmes sont toujours au front, maintenant avec 4 ou 5 fois plus de tâches familiales, de travail, avec les enfants plein temps à la maison pendant plusieurs mois,  etc.

Plus que jamais la coopération est importante dans ces moments troubles et l’ESS a le potentiel de proposer une reprise centrée sur les personnes et la planètes avec ses modèles d’organisations collectives et de production responsable de biens et de services…